Crédit photo : Marta Puglia
Ilaria Fatone. Un nom à retenir, celui d’une décoratrice italienne en Provence qui fait beaucoup parler d’elle sur les réseaux sociaux avec un blog à ne rater sous aucun prétexte. Son goût très sûr en matière de Décoration s’appuie en plus sur une formation en Histoire de l’Art médiéval acquise dans sa jeunesse et un talent inné. Rencontre avec une artiste qui ne mâche pas ses mots.
Comment êtes-vous arrivée dans le monde de la décoration d’Intérieur, par vocation ou par hasard ? Car je crois savoir que vous avez eu une autre vie avant la décoration ?
C’était quelque chose qui me plaisait mais étant jeune je n’ai jamais envisagé de faire des études là-dedans. Par contre, j’habitais Milan, je faisais des études de lettres modernes avec option Histoire de l’Art médiéval et du coup avec mes copains, on sortait de la Fac et on allait faire les fameux salons de meubles. Les salons à l’époque n’avaient pas la même envergure que maintenant. C’était souvent dans les shows room des marques et vous pouviez rencontrer les designers et discuter avec eux. Ils étaient très accessibles. Ce n’était pas encore l’évènement mondial que c’est aujourd’hui. J’avais des copains architectes qui m’avaient aussi traîné à la Biennale de Venise mais ça restait juste une passion, rien d’autre.
C’est beaucoup plus tard que m’est venue l’idée d’en faire ma profession. Je suis d’abord venue à Paris où j’ai travaillé dans le marché de l’Art comme directrice d’une galerie d’Art spécialisée dans l’enluminure médiévale, mon domaine. La propriétaire de la galerie était une Américaine passionnée par le design des années cinquante qui souhaitait rénover sans cesse la galerie. J’ai donc été amenée à travailler régulièrement avec un architecte et ce durant des années. Et j’ai adoré ce travail, de recherche de couleur, de matériaux pour réaliser des mises en scène de stand ou de site, à la galerie ou ailleurs. On achetait les objets chez les plus grands comme Cassina et ça a été ma première approche de la décoration.
Après j’ai quitté la galerie pour un travail beaucoup plus administratif qui du coup ne m’apportait pas toute la satisfaction dont j’avais besoin. Ma petite bulle d’air le soir était de me plonger dans la décoration. Je ne sais pas trop comment cela s’est fait mais je me suis mise à passer des heures sur les blogs ou sur Pinterest. Et forcément au bout d’un moment, je me suis dit : et pourquoi pas moi ? Et là, un nouveau monde s’est ouvert à moi ! J’ai ouvert mon blog. Il y avait beaucoup de blogueurs mais pas encore autant qu’aujourd’hui surtout dans le domaine de la Décoration qui restait encore une niche. Et j’ai véritablement adoré ça !
Comment avez-vous démarré, du coup, votre activité ?
Nous avons quitté Paris pour Aix en Provence et je me suis dit, c’est l’occasion dont j’avais besoin pour me former dans ce domaine. J’ai toujours été persuadée que pour arriver à faire quelque chose, il faut se former. Le problème, c’est que la plupart des écoles réputées dans ce domaine étaient à Paris que je venais de quitter. Mes enfants étaient petits et c’était inenvisageable de retourner à Paris pour me former.
J’ai donc trouvé des versions alternatives et j’ai choisi de participer à des “master classes” extrêmement diverses et variées, avec des décorateurs, des stylistes, des photographes. Ce sont des expériences assez courtes mais très enrichissantes. J’en ai même fait à l’étranger et c’est comme ça que je me suis formée pendant plus d’un an et demi. C’était une véritable occasion de voir comment ils travaillaient, de voir ce qui se faisait ailleurs. Mais surtout, cela m’a permis de définir la façon dont je voulais travailler. Je ne voulais pas d’une approche de la décoration classique. Malgré, toutes ces formations qui ne s’inscrivent pas dans la lignée classique, je reste autodidacte, en quelque sorte. Mais, les gens m’ont fait confiance. Au départ, ce sont des amis qui m’ont fait travailler, ils avaient vu mes goûts, voyaient ce que je partageais sur les réseaux. Et après le bouche-à-oreille a fonctionné.
Comment vous positionnez-vous dans le secteur de la décoration ?
Lors d’une de mes master classes, j’ai eu l’occasion de voir en travaillant avec une décoratrice très classique, ce que justement je ne voulais pas. J’ai senti qu’il y avait en fait un certain “nombre de codes” que je ne partageais pas particulièrement. Je ne venais pas de ce milieu, j’avais une vision complètement différente et j’allais pouvoir apporter ma touche personnelle justement faite d’influences très diverses provenant d’Italie, de Scandinavie et même d’Angleterre. Un mélange, un mix de mes origines italiennes avec des inspirations très françaises d’après certains de mes collègues italiens !
Mes influences sont dominées par la couleur, que j’aime comme les Italiens mais dans une moindre mesure qu’eux, que je n’utilise pas comme eux. Par le style scandinave aussi, mais le vrai avec des lignes pures, qui va à l’essentiel, très minimaliste et des influences françaises, aux côtés plus naturels et poétiques. Des Italiens m’ont dit que j’avais cette touche française, ce que je n’aurais jamais imaginé.
Comment qualifieriez-vous “cette touche française” alors en matière de Décoration ?
Les Français sont beaucoup plus « détendus » en matière de Déco que les Italiens, plus « tranquilles ». Comment dire… Le style est plus naturel, moins affirmé que dans le design italien, beaucoup plus « laid back » comme disent les Anglais, une sorte de confort à la maison qui va mélanger des pièces chinées, des objets de famille, cet attrait du vintage aussi, propre aux Français. Par exemple, de ce côté des Alpes, on mise beaucoup sur la récupération de mobilier, l’achat d’occasion ! Quelque chose d’inconcevable en Italie jusqu’à tout récemment. Ça commence tout juste à poindre mais qui ne fait vraiment pas partie de la philosophie. Là-bas, on pratique surtout le sur-mesure. Alors qu’il n’est pas rare qu’un client français me demande de lui trouver un meuble chiné ou autre !
Justement, pouvez-vous nous décrire votre processus créatif et votre façon de travailler ? Comment cela se passe-t-il ; ils vous donnent carte blanche en général ou savent déjà ce qu’ils veulent ?
Ça dépend. Il y a deux catégories de clients.
Ceux avec qui j’ai déjà travaillé et qui me font confiance. J’ai du coup avec eux une certaine liberté mais attention, le but n’est pas qu’ils “vivent chez moi” c’est-à-dire dans un lieu que j’aurais aménagé selon mes goûts. Du coup, je n’aime pas parler de “carte blanche” car il va falloir leur créer leur espace de vie. Tout l’enjeu va être de composer avec ce qu’ils me disent ou ne disent pas d’ailleurs parfois et trouver un équilibre !
Et puis, il y a ceux qui ne me connaissent pas, qui arrivent par le bouche-à-oreille ou les réseaux sociaux. Alors, on discute, on compose, un feeling se crée. J’essaie de faire pas mal de “sur-mesure”, c’est un peu ma valeur ajoutée. Je fais aussi attention à lâcher prise car parfois, les clients ne sont pas forcément prêts à aller vers certaines choses qui sont nouvelles car on essaie de devancer les tendances et de leur proposer de vraies nouveautés.
Par exemple, depuis deux ans, j’essayais de proposer la couleur verte sans vraiment beaucoup de succès. C’était une couleur assez compliquée à utiliser, il y avait beaucoup de réticences et là, depuis peu, le vert est enfin à l’honneur et les clients acceptent beaucoup plus facilement.
Sur votre blog vous parlez beaucoup de tendances. Comment les découvrez-vous ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Au démarrage, Pinterest m’a beaucoup inspiré. Moins aujourd’hui, les algorithmes ne vont plus vous fournir que ce que vous cherchez et vous permettront moins de faire des découvertes.
Concernant les réseaux sociaux en général et Instagram en particulier, je pense qu’il s’agit d’un monde parallèle : qui oriente beaucoup les envies des gens en focalisant sur certains objets et puis il y a la vraie vie, avec des gens qui ignorent tout de ce monde-là et qui eux ne se soumettent absolument pas à la dictature d’avoir telle ou telle pièce absolument.
Sinon, je suis beaucoup les bureaux de style comme Peclers ou NellyRodi qui vont donner accès à toutes les tendances qui vont se dessiner. Les magazines aussi mais par périodes. La mode m’inspire aussi beaucoup car elle est véritablement un précurseur en matière de tendance. J’aime également voir ce que font les autres et les solutions qu’ils peuvent proposer. C’est toujours intéressant et instructif, je trouve quand certains craignent la copie ou le plagiat. Je vois ça comme quelque chose de très constructif qui permet de prendre le pouls de ce qui se fait.
https://www.peclersparis.com/fr/
https://nellyrodi.com/product/life-style-2021/
J’ai aussi d’autres sources d’inspiration que les gens trouveront sans doute un peu bizarres sûrement mais j’avoue que l’Art et les musées m’inspirent beaucoup. Rien de tel qu’un tableau du dix-huitième siècle pour tempérer mes nombreuses inspirations. J’ai une passion pour les petits musées comme le Musée Granet à Aix, l’Hotel de Caumont, le Musée d’Orsay.
Le Chateau La Coste aussi est un lieu incroyable qui fait se côtoyer une nature incroyable avec l’art et l’architecture.
Château La Coste à Aix-en-Provence · Destination Unique
Et la Villa Noailles à Hyeres et Toulon. La Design Parade ; exceptionnelle !
https://villanoailles-hyeres.com/
Des personnes qui vous inspirent ?
C’est très bizarre car les deux designers que j’adore ne représentent pas du tout mon style, ni ce que j’aime. C’est très bizarre et pourtant…
Cristina Celestino dont le monde s’il est maximaliste est quand même très onirique, très féminin, en un mot hyperbeau !
Mon second coup de cœur est formé par un duo de designers Marcante Testa qui incarne tellement bien l’âme italienne. C’est hypergraphique, plein de couleur, j’adore vraiment même si là encore, c’est très loin de mon univers.
Marcante Testa | architetti – Architects & Interior designers Torino
Dans un autre style, scandinave celui-là, Norm Architects fait aussi partie de ce que j’aime.
Quels sont selon vous les enjeux de la décoration et son utilité ?
J’ai toujours été farouchement contre le concept d’intemporalité en décoration. C’est impossible. Un intérieur des années cinquante restera marqué années cinquante. Et si vous créez un espace en 2021, il est influencé par 2021. Il va falloir faire la part des choses entre ce qui est “tendance”, ce que les magazines vous présentent comme tel. Et ils ne se gênent pas pour vous dire que vous n’allez pas pouvoir passer l’hiver sans tel ou tel objet ! Et les couleurs et les matières qui vont être le plus demandées.
Un exemple avec le canapé Togo que tout le monde connaît. Ce canapé, né dans les années soixante-dix n’en finit pas de revenir sur le devant de la scène depuis plusieurs années et ce malgré sa forme improbable. Il a des qualités indéniables, il est léger, confortable mais reste très marqué 70 ! Tout l’enjeu va être de le fondre dans notre espace sans que l’ensemble semble sortit des seventies et qu’il ne paraisse pas démodé dans quelques années.
Idem avec le laiton, un matériau hypertendance dont il ne va pas falloir abuser.
Il faut de la cohérence en décoration tout n’hésitant pas à mélanger les éléments. Sans compter que les tendances ont une durée de vie assez courte ; pas plus de cinq ans. Et on sait très bien que quand les tendances arrivent dans des enseignes type Maisons du Monde, c’est que la tendance est déjà en fin de vie ! Alors, oui, on y va, on tombe sous le charme d’une lampe à 19 Euros, on l’achète, on la ramène et au bout de deux ans, on ne peut plus la voir. On s’est lassé aussi parce que ce n’est pas du vrai design mais des copies. On parle de “fast déco” ; une mouvance extrêmement nocive à l’environnement comme aux clients dont les intérieurs débordent et qui crée un engrenage de production sans fin.
Quels conseils alors donneriez-vous à nos lecteurs en matière de décoration ?
De ne pas acheter tout ce qu’ils voient et pour lequel ils ont le coup de cœur mais surtout de prendre le temps et de réfléchir. La réflexion manque cruellement. Se demander : est ce que je vais avoir un endroit où le mettre. Éviter à tout prix les achats compulsifs. On peut même se poser la question suivante : ne vaut-il pas mieux mettre le prix d’une pièce dont on ne se lassera pas ?” Après, je suis bien consciente des problèmes de coût engendrés mais, peut-être qu’au lieu d’acheter plein de petits objets dont on se lassera et qui finiront sur le bon coin, on peut se faire plaisir avec une belle pièce de designer dont on ne se lassera jamais...Sans compter qu’au moment de payer une grosse somme, on réfléchit plus et c’est cette réflexion qui va être primordiale.
On peut aussi se demander s’il y a d’autres solutions ? Moi-même, j’avais vu il y a environ trois ans avant que la bouclette n’explose, un fauteuil avec ce matériau dont je rêvais, mais j’avais deux fauteuils en excellent état et cela m’ennuyait de m’en séparer. J’ai finalement trouvé l’alternative d’en faire recouvrir un avec un tissu similaire. J’ai eu ce que je voulais sans sacrifier un fauteuil ou en acheter un supplémentaire. Il existe vraiment de nombreuses alternatives.
On essaie de revenir à des processus plus locaux, artisanaux, qui prennent plus de temps, ce qui nous donne aussi un temps de réflexion. Mais, c’est un long travail à faire de changement de mentalité.
Vos derniers coups de cœur musicaux ?
Elle s'appelle Snatam Kaur et chante des mantras de façon incroyable "Mool mantra"
En cuisine, quel est votre plat préféré ? Italien ou français ?
Même si j’ai un mari qui cuisine extrêmement bien la cuisine française, mon choix se porte sur la cuisine italienne pour sa simplicité. Mon plat préféré reste le risotto allo zafferano, un risotto au safran, une spécialité de milan, d'ailleurs. Les “pasta”, aussi parce qu’on ne s’en lasse jamais et un tiramisu, en dessert.
Un site internet à partager ? Une devise à partager ?
Deux sites de blogueuse vraiment géniaux : Frenchy Fancy qui partage les nouveautés des marques et Turbulences Déco qui propose une vraie réflexion et un travail en profondeur.
https://www.turbulences-deco.fr/
Quant à ma devise, elle tient en ces mots et j’avoue que je la répète souvent à mes clients même si tous ne sont pas forcément prêts à se l’approprier :
“On n’a pas besoin de plus de place, on a besoin de moins de choses”.
Une autre phrase me sert de signature de mail et a déjà réussi à convaincre certains, de me faire confiance : c’est “Notre vie se perd dans les détails. Simplifiez, simplifiez, simplifiez !”
Crédit photos : Ilaria Fatone
Propos recueillis par Edith SELLIER PASCAL